L’attrait de l’occulte en politique
Une des leçons du célèbre roman d’Umberto Eco Le pendule de Foucault est que l’ésotérisme est toujours un éclectisme. Ce qui signifie : dès lors qu’on entreprend de découvrir un secret et qu’on se fascine pour lui, on est porté à croire, ainsi les « diaboliques » dans ce récit, que le même secret livrerait la clé de toutes les énigmes, le chiffre de tous les codes, le sens de tous les mystères qu’a rencontrés l’humanité ou qu’elle s’est créés. Le sens des proportions de la Grande pyramide ou du Temple de Salomon, le lieu où est caché le Graal, le contenu du serment des Templiers, des Rose-Croix, de la Jarretière et de la Toison d’or, la nature du trésor de Rennes-le-Château, la composition du philtre d’immortalité du comte de Saint-Germain, le nom de l’ordonnateur unique des grands massacres de l’Histoire, tout cela répondrait à la même question, résoudrait le même problème, car tout est signe de tout. Vertige du même, de l’unification ultime, de l’unité cachée, que le philosophe-romancier nous invite à considérer tout à la fois avec un humour ennemi de la confusion, et avec une méfiance de sceptique intransigeant.
Lovecraft, le romancier américain dont les opinions xénophobes sont attestées, ne faisait preuve ni de la même méfiance, ni du même humour, lorsqu’il se livrait, dans la construction du personnage de Chtulu et de son monde imaginaire, au panachage à peu près sans reste de tout ce qui est propre à inquiéter l’âme humaine : religion, ésotérisme, folie, rêve, souvenirs immémoriaux, géométries non euclidiennes. Les deux branches de la tenaille se resserrent à nouveau : d’une part il y a du secret, d’autre part tous les secrets communiquent.
Humour et méfiance, donc. C’est-à-dire, distance et recul, esprit de clarté, de distinction et d’examen, mais aussi préjugé très défavorable, par conscience du péril, envers les causes tout entendues et les assimilations prématurées. Face aux dénonciateurs de complots, aux découvreurs de machinations, aux dévoileurs de conspirations, tout cela, aujourd’hui encore, est requis. Que l’on observe en effet comment ils s’y prennent : à l’œuvre derrière un événement, il y a une décision secrète, mais cette décision secrète s’ensuit elle-même d’une autre décision secrète à l’œuvre derrière un événement d’une plus grande ampleur, qui elle-même s’ensuit d’autres décisions plus importantes encore, jusqu’à ce qu’une organisation cohérente, mais cachée, du monde, édifiée en vue de la poursuite de certains intérêts exclusifs des autres, finisse par apparaître — ou plutôt : par se laisser soupçonner.
Et s’il est extraordinairement difficile de dissiper les prestiges de ce type d’inférences sur l’esprit humain, c’est qu’il se laisse ici dévoyer par ce qu’il a de meilleur, à savoir le désir de comprendre, de démasquer, et d’être cohérent avec soi-même — à quoi se joignent il est vrai, chez certain.e.s, la vanité d’avoir compris le premier, et l’étroitesse de la mémoire : car le simple est plus facile à retenir que le complexe.