Apprendre le monde
Rares sont les pays où la philosophie n’est pas interdite, plus rares encore sont ceux où son enseignement est institutionnellement organisé. Mais lorsque c’est le cas, il n’est pas indifférent, pour qui l’envisage d’un point de vue pulsionnel et affectif, qu’elle fasse l’objet d’une rencontre à vingt ans.
L’adolescent.e qui, de longtemps déjà, aspirait à cette étude parce qu’elle ou il y pressentait le point focal de ses goûts les plus prononcés (un goût pour la littérature, ou pour les longues conversations amicales, ou pour les sciences), attend de la philosophie, non pas tout à fait qu’elle lui permette de comprendre, non pas tout à fait qu’elle lui permette de savoir, mais, un peu à mi-chemin, qu’elle lui permette d’apprendre. Et d’apprendre le monde, c’est-à-dire tout le monde (un peu de linguistique, un peu d’histoire ancienne, un peu d’anthropologie, etc.).
Saurai-je, grâce à cette étude, m’élancer dans le monde, y demeurer quelqu’un de bien, et y passer ma vie agréablement ? « Bene agere et laetari », disait en effet Spinoza : deux buts que les humains me semblent poursuivre avec une ardeur particulière. Saurai-je les viser conjointement ? Ne délaisser le second qu’aussi peu que possible, et le premier jamais ?
Si l’étude de la philosophie n’est pas un viatique pour la mort ou pour l’éternité, c’est assurément un viatique pour la vie.