« Bonus et scènes coupées au montage » est un livre, appartenant de plein droit à ma propre recherche, pourvu à ce titre d’un numéro ISBN, mais dont l’impression papier n’aurait pas permis de réaliser les intentions formelles et thématiques exactes. Ce livre opte en effet pour la pluralité d’objets — même s’il vise en point de mire une question unique, celle de nos années 20, moins légères, mais tout aussi folles, quoique en un autre sens, que les précédentes —, et il choisit d’adopter la forme semi-brève — cet intermédiaire entre l’aphorisme et le chapitre —, dont Stendhal, qui en goûtait le tempo vivace, a su montrer le pouvoir d’entraînement quasi chorégraphique.
Il ne s’agit cependant pas ici de plaider, fût-ce par le fait, pour toute publication en ligne. Souvenons-nous d’Yves Clot et des analyses, inspirées de Marx, qu’il menait du mal-être au travail : on souffre souvent moins de « ne pas être reconnu à son travail », que de ne pas se reconnaître dans son / dans un travail — un travail, comme peut l’être le livre papier, dans son achèvement provisoire. Or l’antagonisme, inévitable, entre édition en ligne et édition papier induit, entre autres conséquences néfastes, celle de retarder, voire de compromettre, une réflexion sur les spécificités de chacun de ces modes de diffusion, et dès lors de différer, voire d’inhiber, la mise en œuvre, par la publication en ligne, des moyens d’expression et de signification dont elle est prégnante.
La critique de cinéma, la critique d’art, se sont déjà de longue date saisies de ces moyens, qui promettent bien davantage, et bien autre chose, que de l’illustration ; mais quiconque s’occupe de musique peut à son tour, désormais, soulager ses lecteur.e.s de la malcommode nécessité d’exécuter l’œuvre étudiée ou de s’en procurer un enregistrement — une foule de questions de fond, inédites, se posant alors au concepteur de site : dans quels cas l’extrait musical doit-il être « ouvert dans un nouvel onglet » et demeurer un arrière-plan sonore de la lecture ? dans quels cas doit-il faire alternative avec celle-ci ? La vieille pratique de la « note en bas de page » se trouve elle-même investie d’un nouveau sens, car comment caractériser une note proposant de (re)parcourir, de proche en proche, tout le livre invoqué ? Et s’il devient loisible, pour les lecteur.e.s, de décrypter une allusion à même le support textuel à disposition (via les moteurs de recherche adroitement utilisés), ne voit-on pas s’atténuer, ou se redessiner, les normes et les frontières de l’explicite et de l’implicite, de l’entendu et du sous-entendu ? Ces normes et ces frontières deviennent à part entière moyens pour l’expression et pour la signification, et c’est tout un paysage de nouvelles possibilités et de nouvelles questions, esthétiques, poétiques et conceptuelles, qui prend relief devant nous.
Arnaud François