Le « charme rétrospectif de l’enfance »

L’enfance n’exerce pas un, mais plusieurs charmes rétrospectifs, selon le point de vue (ou plus exactement : le point du temps) d’où on la considère. Le charme de l’enfance tout juste finie, pour la jeune femme ou le jeune homme de vingt ans découvrant que la solitude et la pauvreté peuvent les frapper eux aussi, c’est la factice assurance du bien-être matériel (procurée par les familles suffisamment aisées). Le charme de l’enfance révolue, pour la jeune femme ou le jeune homme de trente ans qui à présent soupèse les lourdes significations du mot « responsabilité », c’est une « insouciance » en grande partie fantasmée. Le charme de l’enfance désormais lointaine, pour la femme ou l’homme de quarante ans qui croit atteindre une « heure des comptes », une « heure du bilan », c’est la pluralité des vies possibles (mais sur quel éventail ?), ou leur grandeur (pour quel enfant mégalomane ?), maintenant bien réduites : « Le temps passe, soupirent les personnages d’Aragon, et on n’aura été que ça » (Adrien Arnaud, dans Aurélien, p. 533).

Si, en revanche, la solitude et la pauvreté menacent à tout âge ; si l’endurance aux responsabilités est fonction des personnes ; si, comme il est avéré également, le sentiment d’une existence manquée affecte parfois de tout jeunes hommes (Adrien Arnaud dès 31 ans, Pierre Mercadier à peine plus tard, Aragon toute sa vie) : alors tous ces regrets n’expriment-ils pas davantage la complexion individuelle que l’âge atteint, et l’enfance conserve-t-elle autant de « charme rétrospectif » qu’on lui en prête parfois — sans même parler de son charme intrinsèque ? Chaque âge de la vie peut être goûté pour ce qu’il est : et c’est vraisemblablement la seule manière d’être « enfant », quoique en un sens nouveau, que de savoir ainsi coïncider chronologiquement avec soi-même.